« J’aurais voulu être un artiste » comme chantait Claude Dubois ! Hergé est l’archétype de l’autodidacte. Il est tombé dans la bande dessinée quand il était petit ! Comme dans la chanson, il a eu du succès dans les affaires et il a contrôlé son univers. De là à imaginer qu’il deviendrait et serait reconnu comme un artiste à part entière, il n’y a qu’un pas qu’Hergé lui-même n’aurait pas osé franchir. Humilitas, humilitatis…
Hergé
Hergé
Hergé
À la veille de l’exposition Hergé’s Masterpiece à la Somerset House à Londres (1) et suite à la parution de l’ouvrage L’art d’Hergé écrit par le très regretté Pierre Sterckx, il nous est apparu intéressant de faire un arrêt sur l’image Hergé-artiste ! Aujourd’hui, c’est presque une tautologie.
Cette question centrale du statut d’artiste est d’autant plus digne d’intérêt que l’artiste a encore fait parler de lui tout récemment avec la vente record d’une double planche du Sceptre d’Ottokar chez Sotheby :
Hergé Double planche originale de Tintin, Sceptre d’Ottokar, 1939 1.6 million € RECORD MONDIAL POUR UNE DOUBLE PLANCHE ORIGINALE DE L’ARTISTE
Que de bulles parcourues depuis les débuts de Totor (1926) ! Hergé fait presque de l’ombre à Tintin… Par un juste retour des choses, Hergé depuis plus d’une décennie fait un « come back » triomphal et rivalise en popularité avec sa créature qui avait une certaine tendance à vouloir échapper à son créateur ou du moins à vouloir se libérer de son maître, tant sa renommée est bien assise de par le monde. Sur Google (français), il y a 19.000.000 de résultats pour le seul mot « Tintin » (personnage + nom commun en 0,51 secondes) contre 893.000 (en 0,46 secondes) pour Hergé. C’est dire comment un personnage de fiction peut s’émanciper par rapport à son créateur tant son succès est planétaire.
Qui se souvient du créateur de Tarzan ? Notre seule bouée de secours immédiate est Wikipédia : Edgar Rice Burroughs !
Hergé – artiste, c’est une évidence tant son œuvre rayonne. Son entrée à Beaubourg (2), le Musée Hergé de Louvain-la-Neuve, dédié à l’ensemble de son œuvre, les nombreuses expositions dans le monde, sa cooptation par le monde des arts et des collectionneurs attestent de ce statut ! Beaucoup de dessinateurs et scénaristes de BD actuels envieraient un tel destin.
Musée Hergé
Musée Hergé
« Hergé jouit d’un statut particulier dans le concert des arts et des médias de son temps. Il y figure l’exception qui confirme la règle : c’est un maître, un grand artiste mais issu d’un médium (la bande dessinée) qu’il est d’usage de considérer encore aujourd’hui comme un art mineur ».
"L'Affaire Tournesol" - planche offerte par Fanny Rodwell à Beaubourg
"L'art d'Hergé" - Pierre Sterckx
Dans le neuvième art, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. À eux seuls, la passion, l’envie et le coup de crayon ne suffisent pas pour être élevés au rang d’artiste dans le monde de la bédé.
Hergé est lui-même passé par là ! Le dessinateur, comme beaucoup de ses camarades ou confrères, a commencé comme pigiste d’un genre un peu particulier (outre ses fonctions de directeur jeunesse du Petit Vingtième). Travaillant d’abord presque essentiellement pour la presse quotidienne ou hebdomadaire, il fut soumis à des cadences infernales de production.
Petit Vingtième - 1929
Petit Vingtième - 1930
Table à dessin d'Hergé
Table à dessin d'Hergé
Depuis l’apparition du genre de la bande dessinée (+/- 1830), jusqu’au années 60-70, les jeunes bédéistes ou jeunes pousses de la littérature jeunesse s’initiaient en dessinant pour la presse.
Cette presse ou ces petits illustrés étaient un banc d’essai ou une rampe de lancement. Passé ce test, les plus « fortunés » (chanceux) pouvaient espérer décrocher le Saint-Graal : être publié en album ! Du statut de « pigiste-artisan », ils progressaient vers un statut plus envieux : « auteur-artiste ».
Le dessinateur et son scénariste furent très longtemps, et parfois même encore à notre époque, assimilés à des artisans, des faiseurs d’images et d’histoires destinées prioritairement à la jeunesse (jusqu’au début des années septante). Ce cantonnement les a tenus éloignés de la « haute société » de l’Art pendant des décennies. Progressivement et surtout depuis la fin des années septante, la bédé grignote du terrain dans les galeries et les salles de vente spécialisées. Elle est en passe maintenant d’occuper une place à part entière dans la société – Art -. Elle est devenue une forme d’expression artistique et désignée comme le « neuvième art ».
L’expression « neuvième art » est due à Claude Beylie qui l’a utilisée dans un article publié dans Lettres et Médecins, en mars 1964. Ce papier faisait partie d'une série de cinq articles parus dans la revue entre janvier et septembre 1964, sous le titre « La Bande dessinée est-elle un art ? ».
(source : wikipédia)
Depuis plus de deux décennies, le monde de l’art (collectionneurs, galeries, salles de vente, experts, …) lorgne les planches, les crayonnés et autres croquis de la fraternité des bédéphiles. Dans cet engouement subit pour la BD, l’inondation des marchés en liquidités par les banques centrales, suite au séisme économique de 2008 (3), la crise de confiance dans les actions boursières, et le fait que le prix des originaux de BD restait tout à fait abordable, y sont aussi pour quelque chose. D’un marché de niche réservé à des aficionados, on est passé à un marché global international habité par des gros investisseurs.
Le marché de la bédé connaît aujourd’hui un renouvellement global avec un redéploiement géographique (il n’est plus limité à la Belgique et la France). Autant de changements qui ouvrent ce marché à des nouveaux investisseurs venant d’horizons très larges.
L’année passée, L’Express (4) titrait : BD: la fièvre du marché des planches originales
Cette consécration ne veut bien évidemment pas dire que le sort des dessinateurs et scénaristes s’est amélioré sur le plan pécuniaire ou sur celui de la reconnaissance. Il suffit de se rappeler le défilé contestataire des auteurs lors du dernier Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (5).
Ce métier est toujours aussi précaire. Il est difficile d’en vivre et là est le sort de tous les artistes qui se battent pour la reconnaissance d’un vrai statut.
Merci à Hergé qui montre la voie à cette reconnaissance… son œuvre tire vers le haut l’ensemble de la profession !
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