Séraphin Lampion

Pourquoi Séraphin Lampion perd-il toutes ses chances de "fourguer" à la Castafiore un mirobolant contrat d'assurances pour ses bijoux ... non assurés ? C’est que la personnalité, la préciosité, les minauderies et la relation ambivalente qu’elle entretient avec ses bijoux se situent aux antipodes de la faconde et de la vulgarité du vendeur d’assurance ainsi qu’en fait foi l’échange dialogique de la page 17 des "Bijoux de la Castafiore" :

1° le "Salut galopin" par lequel, cigare au bec, il accueille Tintin ;
2° la manière dont il se rit de l'accident du capitaine Haddock, "ce vieux pirate" : "Excellent, le coup de la marche ... Tordant ! ... " ;
3° son indiscrétion relativement à la non assurance des bijoux ;
4° son INCULTURE s'agissant de la personnalité et du rang du maharadjah de Gopal, un "marachinchouette" - première occasion pour la Castafiore de le reprendre - ;
5° sa grossièreté insigne s'agissant des bijoux ("ce bazard-là" … cette "quincaillerie" qu’il entend assurer "aux petits oignons" !!!) et le MEPRIS affiché à l’égard de l'Art du chant ("C'est fou ce que çà rapporte, chanter ! ... Hein ! on ne croirait pas ? ...) quand lui-même, "dans la journée", préfère "un bon demi") ;
6° sa MUFLERIE, quand il lui envoie à la figure des bouffées de son cigare ;
7° sa désinvolture quand il quitte la "duchesse" ... en lui jetant une dernière bouffée !!!

Toutefois, si on ne peut encore estimer qu'elle lui signifiera son refus ... en dépit du "Taratata" clôturant insolemment l'entretien (si l'on peut dire !) signant plus que jamais sa goujaterie de petit bourgeois ... "bruxellois", le fait que prudente, matoise, elle se réfugie derrière un "Je ... je réfléchirai Monsieur Lanterne" signifie la forme "classique" d’un refus non encore déclaré … A PREUVE, dans le charivari généré, dans le cadre du reportage télévisé, par le prétendu vol des bijoux, interrogée par les Dupondt, elle déplore l'absence de contrat d'assurance : "Monsieur Lampadaire m'avait promis de venir avec sa police mais ..." (BLC, 38-IV-3a) ... Un "mais" lourd de sous-entendus ...

De fait, lorsqu'il revient, gonflé de la même grossière suffisance, il ne pouvait tomber plus mal … A sa décharge, cependant, car "Bianca" éructe alors sa colère (d'espèce et pour une cause si puérilement FEMININES - le fameux reportage du Tempo di Roma - !) à l'adresse de toute la maisonnée (sauf ... SIGNIFICATIVEMENT ... de Tintin) ... L'entrevue est aussi orageuse que LAPIDAIRE ... au grand ravissement de Haddock ... qui, depuis LONGTEMPS, aurait dû procéder ... avec ce qui va suivre (BLC, 42-IV-2, 3) :

1° "Mille regrets" ;
2° "Il est trop tard" ;
3° "Il fallait venir plus tôt" ;
4° "N'insistez pas" ;
5° "Je veille moi-même sur mes bijoux" (réflexion symptomatique !) ;
6° "Adieux" ... un PLURIEL significatif du congé DEFINITF en la porte du château claquée à GRAND BRUIT à son nez ...
7° échanges que ponctuent des "Monsieur Lampiste" du plus haut intérêt symbolique ... Car, n'en déplaise à Albert Algoud qui, tout à la prétendue dimension "solaire" prêtée au patronyme de ce PARASITE, la qualifie d'injustice, l'ultime déformation "castafiorienne" se rapporte pleinement à "un individu subalterne" (ce qu'est Lampion, agent de la multinationale "Mondass") et à sa MINABLE personnalité ...

Par delà l’engueulade dont il abreuve Haddock pour son échec dans « Les Picaros » (TEP, 3-I-3, 4), on ne le reverra plus à Moulinsart ... sauf brièvement, inutilement, dans les esquisses de "L'Aph Art" ...

Je ne déteste pas Lampion. Certes, il incarne une certaine "beaufitude" agaçante, mais il n'est pas un méchant type en soi. Néanmoins il a un autre défaut qui n'a pas été mentionné : au début de Tintin et les Picaros, après le reportage télévisé montrant l'arrivée triomphale de Bianca Castafiore au San Theodoros (avant son arrestation), Lampion se montre vexé et susceptible, engueulant Haddock au téléphone à coups de reproches de n'avoir rien fait pour que la Castafiore fasse assurer ses bijoux chez lui (le reportage télévisé révélant ce fait). Lampion, persuadé de son amitié réciproque avec Haddock et de sa valeur personnelle qu'il surestime, considère ne pas être assez reconnu comme tel, et se rend compte que finalement il donne sans recevoir en retour comme il le mériterait...
Par la suite il n'est pas pour autant rancunier, loin de là, sa bonne humeur joyeuse reprend le dessus lorsqu'il retrouve nos amis au campement des Picaros, visiblement content de les retrouver et de leur montrer son groupe folklorique qu'il préside et les costumes de Joyeux Turlurons qu'il a créés.
Mais ce n'est pas volontairement qu'il les a aidés, contrairement à ce que je lis çà et là, j'ai plutôt l'impression d'un heureux concours de circonstances qui a donné à Tintin l'idée d'en profiter pour aider Alcazar à prendre le pouvoir et à faire libérer les Dupondt, la Castafiore et sa suite (Irma et Wagner)
On voit à la fin qu'il a compris la situation (ou qu'on la lui a expliquée entre temps, le temps de récupérer toute la troupe pour l'emmener au nouveau palais conquis par Alcazar) et qu'il est content d'y avoir contribué malgré lui...
Car lorsqu'il est pris d'un doute (l'accueil énervé d'Alcazar dans les Picaros), d'une frayeur (lorsqu'il se cache dans les buissons, croyant qu'on lui avait tiré dessus dans l'Affaire Tournesol) ou d'une colère (sa dispute téléphonique avec Haddock au début des Picaros), ça ne dure pas, son humour et sa gaieté reprennent vite le dessus ! Sauf à la fin de l'Affaire Tournesol où il quitte précipitamment et durablement le château de Moulinsart avec son envahissante tribu à cause d'une histoire de scarlatine, dans laquelle la surdité légendaire de Tournesol a joué un bon tour !... (et certainement au grand soulagement d'Haddock !)