Tintin a la cote

Depuis quelques années, les adjudications de planches et de dessins originaux d’Hergé battent tous les records en salles de vente. Le 30 avril prochain, la mise aux enchères chez Artcurial d’une double page du Sceptre d’Ottokar (appartenant au chanteur Renaud), confirmera sans aucun doute la tendance. L’occasion de faire le point sur la face cachée de l’iceberg.
Il faut remonter à une petite dizaine d’années en arrière pour mesurer la progression phénoménale du prix des originaux d’Hergé. Quelques exemples sont là pour en témoigner : en mars 2008, une gouache peinte pour la couverture de Tintin en Amérique était adjugée par Artcurial au prix de 764.200 euros, soit près de trois fois sa valeur estimée.
Gouache peinte pour la couverture de "Tintin en Amérique"
Illustration page de garde bleu
Au mois de décembre 2014, la maison Millon et Associés vendait à 539.000 euros un dessin de couverture du Sceptre d’Ottokar (estimée à 350.000 euros) réalisé pour l’hebdomadaire Le Petit Vingtième. En octobre 2015, c’est au catalogue de Sotheby’s que l’on retrouvait une double planche du même Sceptre d’Ottokar, estimée entre 600.000 et 800.000 euros. Elle allait finalement trouver acquéreur pour la coquette somme de 1.563.000 euros !
Des rotatives aux cimaises
Les experts avancent une explication prédominante sur le développement exponentiel de ce marché, dans lequel Hergé fait figure de leader incontesté. Certes, les planches originales de BD sont collectionnées depuis plusieurs décennies par de vrais amateurs, convoitant au gré des bourses et expositions leur petite « madeleine de Proust ». Mais c’est en grande partie le séisme économique de 2008, et la crise de confiance dans les actions boursières, qui a dirigé massivement de nouveaux investisseurs vers le marché de l’art. Pour ces spéculateurs, l’univers de la bande dessinée représentait un nouveau terrain de jeu, frais, innovant, et encore abordable en termes financiers. Ils ont vite compris l’intérêt d’investir directement sur les dessins originaux (par définition, uniques), plutôt que sur les albums en édition ancienne, ou sur les produits dérivés. C’est ainsi que la planche originale a vu son statut complètement modifié : au départ, simple production artisanale d’un dessinateur, document de travail pour faire réaliser l’épreuve à imprimer par le photograveur, elle est devenue œuvre d’art, cotée sur le marché. Et d’un petit commerce de niche réservé à quelques aficionados franco-belges, son champ s’est étendu à un marché international global, fréquenté par de gros investisseurs, attirés par la promesse d’une belle rentabilité.
Planches en stock
Ce marché en pleine expansion, il faut évidemment l’alimenter. Et dans le cas de Tintin, on peut légitimement se poser des questions sur la provenance de certains originaux régulièrement présentés dans les ventes. On le sait, Hergé n’a jamais vendu de planches de son vivant. Tout au plus a-t-il offert généreusement quelques dessins et crayonnés, le plus souvent dédicacés, à ses connaissances, ou à des associations. Quant à la majorité de ses originaux, elle appartient aujourd’hui aux Studios Hergé, dont la vocation est de protéger et de mettre en valeur l’œuvre.
Un article récent du Figaro publié le 12 mars 2016, dévoile les dessous de certaines ventes, en particulier celles se rapportant aux lots Sceptre d’Ottokar ! L’auteur de l’article ne mâche pas ses mots sur le destin de ces originaux : « cette double planche, comme quelques autres, a ainsi tout bonnement été volée en 1946 avant de réapparaître dans les salles de vente » (Le Figaro, op.cit.).
Un sceptre qui vaut de l’or
Le cas des planches du Sceptre d’Ottokar pose en effet question à la lumière de certaines correspondances récemment retrouvées. Ces planches ont à l’époque été confiées par Hergé à Cœurs Vaillants, qui depuis 1930, a publié en France les aventures de Tintin. Durant la guerre, c’est au siège de ce magazine, rue de Fleurus à Paris, qu’ont été envoyées les planches du Sceptre d’Ottokar. Au mois de juillet 1944, Hergé, prévoyant, fit tirer chez Casterman des épreuves de ses planches sur papier à dessin, à partir des clichés existants. Au sortir du conflit, à partir du mois de mai 1945, Hergé s’enquiert auprès du journal Cœurs Vaillants du sort de ses originaux. Comme en témoignent plusieurs courriers d’Hergé à son éditeur belge Charles Lesne, c’est au mois de juin 1945 qu’on perd leur trace. Personne à Paris ne parvient à remettre la main sur ces dessins, et c’est au mois d’octobre que tombe la confirmation définitive : ces planches ont bel et bien été « perdues ». La rédaction de Cœurs Vaillants relate que ses locaux ont été « bouleversés » par les Allemands (sic). On sait maintenant que certaines ont refait surface; d’abord selon toute vraisemblance dans les années soixante entre particuliers, et puis tout récemment à l’occasion de la vente Sotheby’s (voir supra) et des deux ventes programmées tout au cours de ce printemps chez Tajan et Artcurial.

Courrier Hergé-Lesne 30 juillet 1944

Courrier Hergé-Lesne 13 juin 1945

Courrier Hergé-Lesne 15 juin 1945

Courrier Hergé-Lesne 17 juin 1945

Courrier Hergé-Lesne 17 octobre 1945
Quoi qu’il en soit, il n’y a plus aucun doute aujourd’hui : les doubles planches du Sceptre d’Ottokar que l’on trouve dans les ventes aux enchères, sont bel et bien celles qui se trouvaient à Paris pendant la guerre.
La place des oeuvres
L’on peut regretter que ces œuvres ne fassent pas partie du patrimoine des Studios Hergé et ne puissent être exposées au Musée Hergé, dont le but depuis son ouverture en 2009 est de perpétuer la mémoire d’Hergé.
A ce sujet, d’aucuns regrettent que les Studios Hergé ne se soient pas portés acquéreurs d’une partie d’entre elles passées en salle de ventes, afin de les replacer dans leurs propres collections. Fanny Rodwell, seconde épouse d’Hergé et ayant-droit, se refuse à agir de la sorte pour des raisons de bon sens autant que de probité: « Il est délicat de racheter une pièce dont on pense être le propriétaire légitime, d’autant que l’origine n’est pas toujours claire » soulignait Yves Février, consultant auprès de la société Moulinsart, dans un article de la revue The Good Life, en septembre 2015.
Tintin chez le ministre
Ne serait-il pas temps de disposer d’un arsenal juridique qui entoure la vente publique d’œuvres d’art ? Yves Février précise : « Il serait souhaitable de sensibiliser les politiques afin qu’ils définissent un cadre plus strict pour les ventes publiques. L’objectif serait de favoriser la protection du patrimoine national en permettant un traçage des œuvres d’un grand intérêt culturel. » Eric Leroy d’Artcurial ajoute : « Une volonté politique est indispensable. Il est anormal que les institutions publiques ne s’intéressent pas davantage à la bande dessinée. Elle est peut-être considérée comme un art encore trop neuf, mais c’est dommage, car des particuliers en profitent pour se constituer des collections impressionnantes. » (The Good Life, op.cit., p.201)
L’avenir d’une oeuvre
De par ces ventes et les nombreux événements qui lui sont consacrés, l’univers créatif d’Hergé a franchi un palier, s’est doté d’un nouveau statut, et a été coopté par le monde de l’Art. Mais il ne faudrait pas que cette nouvelle reconnaissance détruise l’essence même de l’œuvre et son rayonnement populaire. Bien plus que pour d’autres créateurs, on mesure à quel point le travail d’Hergé fait partie du patrimoine commun, et a façonné l’inconscient collectif de plusieurs générations. En quelque sorte, Tintin a sa place dans le cœur de chacun, et touche à l’universel. Il conviendra à l’avenir de trouver le juste équilibre entre le prestige de la consécration artistique, et l’ouverture de l’œuvre à tout un chacun.
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