De l’insulte… souriante à l’injure délictueuse

La Une de Libération du jeudi 14 novembre est sans photo et témoigne d’une certaine exaspération … « Injures racistes, incitation à la haine ASSEZ ! ».
Publication dans la "Libération"
La coupe déborde et l’insulte se répand comme une épidémie. À l’école, les enfants, malgré eux, apprennent à vivre avec et y font face sans se rebeller !

Ceci n’est pas une insulte…

Les « insultes » du capitaine Haddock (dont certains exemples sont repris ci-après) sont du menu fretin à côté de ce qui est dit ouvertement dans certains hémicycles, espaces publics ou écrits en toutes lettres sur des blogs ou sur des murs ! Il est vrai que notre cher capitaine avait le sens de la répartie. Nous avons sélectionné quelques fleurons de son cru personnel :
Ce florilège d’anathèmes est une marque de fabrique de notre cher capitaine Haddock ! Le coup de génie d’Hergé est d’avoir « inventé » ou « emprunté » des mots à résonnance particulière pour permettre à son truculent personnage de s’exprimer brutalement sans heurter la morale. Frapper verbalement sans heurter et risquer la censure ! Si des noms d’oiseaux (*) auraient été opportuns dans la bouche de Bianca Castafiore, « Le Rossignol Milanais », pour Haddock il fallait trouver un autre registre beaucoup plus musclé.

(*) Nom d’oiseau est une insulte…  « dans la langue populaire, les oiseaux ne passent pas pour très intelligents, tout comme l’humain qui a une cervelle d’oiseau - ou, plus souvent, une cervelle de moineau - ou une tête de linotte, la bécasse – ou bécassine, jeune fille niaise popularisée par la bande dessinée, la dinde, femme stupide, l’oie ou l’oie blanche, plus jeune et innocente, ou même l’alouette qui se laisse piéger dans les miroirs aux alouettes » (source wiki).

Bécassine
La sonorité, la complexité, l’érudition sont autant de critères pour fignoler la puissance de feu verbale du capitaine. Ajouter à cela un ton ou une invective lancée avec véhémence et vous disposez de l’arme de destruction massive qui passe inaperçue !
Hergé ne disait-il pas lui-même : «Plus c’est savant, plus c’est sans réplique : « Oryctérope » ! Mettez-y le ton qu’il faut et votre adversaire ne s’en relève pas ! » (Tintin et moi, Numa Sadoul, Casterman, page 112).
Les « mots » du capitaine sont au nombre de plus ou moins 220.

Gros mots, javelots et vilenies

Depuis des temps immémoriaux, l’insulte a été un instrument de défense ou d’attaque. « Les guerriers assyriens et babyloniens préludent, dans l’Antiquité, aux batailles par des imprécations ». (Maxime Chastaing et Hervé Ardi, Psychologie des injures, Journal de psychologie). Dans « La guerre de Troie n’aura pas lieu » (Giraudoux), on peut lire : « Avant de se lancer leurs javelots, les guerriers grecs se lancent des épithètes… Cousin de crapaud ! se crient-ils. Fils de bœuf ! ils s’insultent, quoi ! ». Plus loin dans le texte, on peut lire « Verrue ! » « Lâche ! » « Corps thyroïde ! » « Serin ! » « Moule à tartres ! » « Poète aux pieds sales ! »…
L’époque parfois donne le ton ! Au Moyen-Âge, cela résonne haut et fort : corne de bouc, truandaille, gueux, devergoigneuse, etc… Au point que l’insulte est presque un sport seigneurial. Au XVIIIe siècle, les imprécations traduisaient des « aménités » de langage formulées par des chansonniers comme Jean-Joseph Vadé qui s’adressaient tantôt aux femmes (« Gueuse à crapaud » « Dépendeuse d’andouille ») tantôt aux hommes («  Échappé de Bicêtre ! » « Sac à vin ! »). Dans la même foulée mais plus dramatique, l’homme offensé ou insulté cherchait réparation ou vengeance par le duel. Pour expier l’offense, l’offensé risquait sa vie !
Si l’histoire joue son rôle quant à la l’usage et la portée d’une flèche verbale, le lieu où elle est proférée ou éructée peut aussi influencer tel usage. Si le mot « calice », nous apparaît, nous Belges ou Français, sans méfait, il en est tout autrement chez nos amis Québécois.
Récemment, le magazine Victoire (journal Le Soir) faisait le point sur la question dans un article signé Didier Dillen richement illustré d’insultes mises en images par Émilie Seron.
On y apprend notamment que le plus vieux « merde » fait son apparition dans le « Roman de Renart » (douzième et treizième siècle). L’auteur nous rappelle la fonction même de l’insulte dont l’objet est de dénigrer la « cible ». Il est question de l’effet perlocutoire de l’insulte : « …si je te traite de gros, tu vas te sentir comme ça » (Propos de Béatrice Fracchiolla, dans l’article de Victoire « L’insulte est-elle le baromètre de la démocratie ? », page 17, 12 octobre 2013).
L’acte perlocutoire consiste à produire des effets qui touchent aux sentiments. Le capitaine Haddock y est mentionné à côté d’autres « spécialistes » du genre comme John Mc Enroe. Les excès de langage du capitaine sont bien connus des lecteurs et peuvent servir d’exutoire et de contrepoint à l’univers « lisse » de Tintin ! Dans le monde réel, d’aucuns avancent parfois les vertus insoupçonnées des insultes qui participeraient au système de régulation sociale !

Internet, la nouvelle violence… verbale

Victoire a interrogé Pierre Merckle, spécialiste des réseaux sociaux, à propos de l’Internet et de sa violence « verbale ».
Avec l’Internet, l’insulte prend des formes tentaculaires au point de parler du phénomène de « cyberintimidation ». Les médias dénoncent la violence verbale qui règne sur Internet et les spécialistes (sociologues, historiens, juristes, psychologues, etc…) se penchent sur la question de l’insulte téléguidée à distance. Il n’y a pas un jour où on ne lit pas dans un blog ou sur une page web une invective plus ou moins déplacée ad hominem.
Plus encore et, ce qui eut été impensable il y a peu, un Ministre français, et pas le moindre, la garde des Sceaux, Christiane Taubira, s’est fait traitée publiquement dans la rue de macaque !
Lire l'article de Christiane Taubira : "Je me ramasse depuis longtemps du macaque"
C’est dire que l’insulte n’a pas été rangée au placard… bien au contraire ! Les noms d’oiseaux fusent et ne sont pas l’apanage d’une minorité défavorisée ! La provocation verbale jaillit de toute part, aussi bien de la bouche de personnes supposées policées que de celle d’un « vulgus » plus prosaïque.
Internet et les réseaux sociaux sont les « catalyseurs » de cette violence verbale qui connaît une ampleur sans précédent au mépris du principe de « nétiquette » qui définit les règles de politesse à suivre sur le net. Le sous-jacent de ce principe de nétiquette est le suivant : « Ce que vous ne feriez pas lors d’une conversation réelle face à votre correspondant, ne prenez pas l’Internet comme bouclier pour le faire ».
Pierre Merckle relativise l’impact de l’internet des réseaux sociaux sur cette contagion qu’est l’insulte. Il souligne toutefois une nouveauté : avec l’Internet, chacun est immergé dans un flot d’informations et…d’insultes même les plus adoucis ou « civilisés » jusque là épargnés par la vulgarité.

L’insulte, aux yeux du dictionnaire et de la loi

Définir l’insulte et ses dérivés n’est pas chose aisée tant les synonymes en apparence sont nombreux : offense, outrage, calomnie, diffamation, injure, blasphème, infamie, invective, etc… La définition la plus commune de l’insulte : « Paroles ou attitudes portant atteinte à l’honneur ou à la dignité de quelqu’un ou du mépris envers quelque chose ». Quand la personne insultée est une autorité établie, l’insulte devient un outrage (exemple outrage à magistrat).
Définition provenant du dictionnaire "Larousse"
L’insulte se différencie de la calomnie ou de la diffamation en ce que :
- « La calomnie est le fait d’imputer méchamment à une personne déterminée un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l’honneur de cette personne ou à l’exposer au mépris public, et dont la preuve légale n’est pas rapportée alors que la loi admet la preuve du fait imputé ».
- « La diffamation est le fait d’imputer méchamment à une personne déterminée un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l’honneur de cette personne ou à l’exposer au mépris public, et dont la loi n’admet pas la preuve. Par exemple, on reproche à quelqu’un d’avoir commis un délit, mais la preuve légale ne peut plus être apportée parce qu’il y a prescription ».
L’injure est elle aussi définie sur le plan pénal tout comme d’ailleurs la divulgation méchante :
- « L'injure est le fait de divulguer un fait imprécis portant atteinte à l’honneur d’une autre personne ».
- « La divulgation méchante est le fait de porter à la connaissance d’un large public un fait vrai dans le seul but de nuire à autrui ».
Nous voyons que l’arsenal est complexe et fort nuancé.

Un dernier conseil avant de prendre… la parole

Sauf à être aussi créatif que le capitaine Haddock au moment de la « charge » verbale, ceux qui ont le goût de la provocation ou de la polémique doivent agir avec la prudence du serpent au risque sinon de subir les foudres de l’Autorité et faire l’objet d’une plainte de la personne injuriée, calomniée ou diffamée.
Chacun de nous devrait parfois tourner sa langue ou sa plume (ou son clavier) sept fois dans sa bouche avant de lancer une attaque verbale ou de lâcher un message sur les réseaux.
« Quand la crainte ne veille pas, il arrive ce qui était à craindre ».
Lao tseu
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