James Bond est-il le nouveau Rackham le Rouge ?
Pendant deux semaines, votre journal vous a fait découvrir l'influence du cinéma sur l'œuvre d'Hergé. Place à la présence d'Hergé dans le cinéma, et notamment dans le film de Steven Spielberg et Peter Jackson, dont la sortie approche. L'occasion d'évoquer le rôle qu'y jouera Rackham le Rouge !
Le défi de Rackham à Daniel Craig !
L'acteur anglais, Daniel Craig, s'est fait connaître par sa personnification de l'agent 007 (licence de tuer), James Bond. C'est à la fois très bien et dommage. Car Daniel Craig est un acteur multiforme, capable d'interpréter aussi bien les durs que les personnages issus du répertoire shakespeariens. Sera-t-il marqué par le rôle de Rackham le Rouge ?
Réponse le 22 octobre 2011, jour de sortie mondiale, à Bruxelles, du film The Adventures of Tintin : Secret of the Unicorn !Défi de Rackham à Daniel Craig : incarner un pirate imaginaire et néanmoins plus vrai que nature. Depuis son apparition dans les années 1940, le redoutable aventurier des mers est devenu une sorte d'icône, un pirate « idéal », tant il réunit en lui ce qui faisait (et fait encore) la terrible réputation des écumeurs de mers...
Les pirates sont-ils des aventuriers ?
La plupart, oui. Ce qui ne veut pas dire que tous les aventuriers sont des pirates en puissance ! Ainsi, des agents secrets, comme James Bond, sont manifestement des aventuriers. Ils disposent de la licence 007, qui permet à son détenteur de tuer un adversaire. Mais ces aventuriers-là travaillent pour le gouvernement britannique - la plupart du temps, dans l'ombre. Leur occupation n'est pas toujours légale, mais... elle est couverte par les services de renseignements ! Donc, les agents 007 sont loin d'être des pirates. Il est vrai que les choses ne sont pas toujours très claires : certains « pirates », renommés « corsaires », travaillaient officiellement pour des pays comme la France (voir plus loin).
Pirate ou flibustier ?
Quand Haddock traite Rackham de flibustier, a-t-il raison ? Oui ! Manifestement, Rackham le Rouge opérait dans les Antilles, aussi appelées Caraïbes. Aux 17e et 18e siècles, seuls les pirates opérant dans la Mer des Antilles portaient le nom de flibustiers. Le terme « pirate » vient du grec (« peiratès ») et du latin (« pirata ») : les deux termes ont pour signification « celui qui défie la fortune et attaque ». Par « fortune », il faut entendre « chance », « hasard », et non une richesse matérielle. Dans l'Antiquité, les premiers pirates attaquaient indifféremment tous les bateaux qui passaient à leur portée. Ils ne savaient donc pas si ces navires transportaient des richesses ou non. Il fallait s'en remettre au « hasard ».
Qui étaient les premiers pirates ?
La piraterie est aussi vieille que les voyages en mer. Dès que l'homme a transporté des objets (essentiellement, de la nourriture, des armes, des minerais...), de petits comiques se sont dits qu'il y avait moyen de devenir riche en volant le bien d'autrui. Ce scénario est évidemment très réducteur. La réalité se révèle beaucoup plus complexe. Pour comprendre l'origine de la piraterie, rendons-nous... aux 20eet 21e siècles ! En Somalie, plus exactement. On a beaucoup parlé des pirates somaliens, arraisonnant les navires transportant des continers venus de Chine, des pétroliers et des bateaux de présence.
Les pirates somaliens sont, la plupart du temps, d'anciens pêcheurs. Depuis les années 1970, des compagnies européennes ont cru bon de déverser des déchets toxiques non loin des côtes de la Somalie. Cela a tué les poissons, mais surtout, la flore sous-marine. Sans cette dernière, les poissons ne trouvent plus à se nourrir. Dans le même temps, la pêche industrielle s'est installée, raflant sans discernement tous les poissons encore en vie. Les pêcheurs somaliens ont donc perdu leurs moyens de subsistance. Ce sont des hommes désespérés qui sont devenus des pirates. Le piratage est devenu leur seule ressource pour survivre. Dans l'Antiquité et aujourd'hui encore, la piraterie a une origine bien identifiable : la misère.
Le saviez-vous ?
Les Iles et la Mer des Caraïbes portent le nom d'une tribu indienne. Lorsque Christophe Colomb arriva « en Amérique » (1492), il s'agissait, en fait, de l'île de Saint-Domingue (qui tient son nom de la forme espagnole de « dimanche, jour où Colomb mit le pied sur l'île). A l'époque, une tribu d'Indiens, venue de l'actuel Venezuela venait d'achever la conquête des îles composant l'actuelle Mer des Caraïbes. Ces Indiens caraïbes avaient remplacé les Arawaks, maîtres précédents des îles. On n'a gardé pratiquement aucune trace des Arawaks : les Caraïbes tuaient les hommes et gardaient les femmes en esclavage. Quant aux enfants mâles, ils étaient émasculés, afin de ne pas pouvoir se reproduire. Le taux de mortalité de ces malheureux était terrifiant. Quant aux Caraïbes, ils succombèrent aux maladies importées par les Espagnols, contre lesquelles ils ne possédaient pas de défenses naturelles.
« Piraterie » et « piratage », des mots dont le sens évolue. Il ne faut plus se rendre en mer pour croiser la route des pirates ! Il y a les « pirates de l'air », qui détournent les avions. Ils sont en voie de disparition, par rapports aux années 1960-1970. Mais il y a les escrocs qui piratent les systèmes informatiques, qui s'emparent des codes de sécurité des cartes bancaires. Pour effectuer ces opérations, nul besoin de monter à bord d'un galion !
La Méditerranée, nid de pirates ?
Voici plus de 12.000 ans, la navigation en Méditerranée s'identifiait à du cabotage, c'est-à-dire qu'une embarcation ne s'engageait pas en haute mer, mais se rendait d'un port de la côte à un autre. Il pratiquait ainsi de courts voyages sans jamais perdre la terre de vue. L'époque des grandes aventures marines ne viendra que plus tard (vers le 7e siècle avant notre ère). C'est alors que l'on voit des Egyptiens et des Phéniciens s'aventurer au-delà des Colonnes d'Hercule (l'actuel détroit de Gibraltar) et découvrir des îles lointaines. Certains pensent que des Egyptiens auraient pu atteindre la côte est des Etats-Unis. Cela reste à prouver. La navigation en Méditerranée est née pour des raisons commerciales. Lorsque les civilisations se sont développées, des échanges ont eu lieu. Les besoins en or, en tissus précieux et, plus prosaïquement, en nourriture justifièrent un commerce maritime. Normal, dès lors, que certains aient voulu s'emparer des richesses transportées par des embarcations peu rapides.
Jules César, victime des pirates.
Au premier siècle avant notre ère, Rome établit son pouvoir sur la Méditerranée. Les derniers à résister sont... les pirates. La Méditerranée est l'endroit le plus dangereux du futur Empire romain. Les pirates se spécialisent dans le vol de marchandises, mais aussi dans la capture d'hommes et de femmes. L'économie de l'Antiquité est basée sur le travail des esclaves : on les utilise dans les champs, les mines, les grandes propriétés. Les pirates antiques capturent de futurs esclaves, en organisant des raids sur les villages côtiers, peu ou pas défendus par des groupes armés.
Mais les pirates attaquent aussi les bateaux et vendent leur équipage sur les marchés d'esclave, notamment à Chypre. C'est l'amère expérience que vit l'illustre Jules César. Son bateau est attaqué par les pirates, il est emmené prisonnier. Ses ravisseurs se rendent compte que le personnage est important et riche. Ils promettent de délivrer contre une importante rançon.
La famille et les amis de César se cotisent. La rançon est versée. Une fois libre, le futur conquérant de la Gaule s'offre une flotte de bateaux de guerre et s'en va attaquer ceux qui l'ont capturé. Et vend les survivants comme esclaves...
Pirates, de génération en génération
L'information la plus abondante sur la piraterie nous vient des Romains et es relative à la Méditerranée. A tel point que les Romains appellent cette étendue marine « mare nostrum » (notre mer). Ils y règnent en maîtres, ils y font la loi, ils en assurent la sécurité. Dès la chute de l'empire romain d'Occident (476 de notre ère), la Méditerranée redevient un champ de non-droit. Avec l'arrivée des Arabes en Afrique du Nord (dirigée jusque là par des Romains, puis des Wisigoths), la piraterie va reprendre de plus belle. Cette fois, on parlera de « pirates barbaresques », allusion à la fois à leur sauvagerie et au fait qu'ils étaient des étrangers (en grec, « barbaroï » signifie « étrangers »). Toujours pour les mêmes raisons : s'emparer des biens d'autrui, se fournir en main d'œuvre servile.
Ainsi, les royaumes musulmans d'Afrique du Nord ont effectué des raids sur les côtés italiennes, françaises, espagnoles et même britanniques, à la recherche d'esclaves. Ce sinistre trafic a coûté la vie à plus d'un million d'Européens, esclaves oubliés de nos jours, mais bâtisseurs des plus grands chefs d'œuvre de l'architecture d'Afrique du Nord, du Moyen Orient et de la Perse, futur Iran.
Les pirates, encouragés par les rois ?
Cette lettre de marque permettait aux corsaires de s'attaquer aux bateaux ennemis, de leur voler leur cargaison et d'en donner une substantielle partie au roi ! L'activité corsaire s'est développée surtout après la découverte de l'Amérique du Sud, quand des galions espagnols ramenaient des tonnes d'or en Europe, inspirant ainsi pirates, flibustiers et corsaires de tout poil...En fait, un « bon » pirate est celui qui collabore avec les autorités légales d'un pays. Si le pirate veut faire bande à part, le pays se montre impitoyable. A Londres, on pendait haut et court les pirates en place publique. Et pour que l'exemple dure le plus longtemps possible, on enserrait le corps dans une sorte de cage en fer dans laquelle le corps pourrissait pendant des mois, sous les yeux effrayés de la population.
Les pirates, vedettes du roman et du cinéma
Jusqu'au début du 20e siècle, les pirates représentaient un fléau qui hantait les cauchemars des gens honnêtes. Au 19e siècle, la piraterie est une réalité omniprésente. Ce n'est pas pour rien que les grands romans de piraterie datent de cette époque. On citera, évidemment, « L'Ile au Trésor », de Robert-Louis Stevenson.
Mais on pourrait aussi parler du « Récif de Corail », de l'Ecossais Robert M. Ballantyne. Ces deux récits ont inspiré des films et des séries télévisées. Au cinéma, le corsaire, le pirate, le flibustier, le forban sont des vedettes dès les premiers films muets. Les acteurs Errol Flynn, Douglas Fairbanks, Gene Kelly furent des pirates - généralement au grand cœur, très séduisants et hautement fantaisistes ! On s'en voudrait d'oublier Jack Sparrow, héros de la série cinématographique, « Pirates des Caraïbes ». Incarné par l'acteur Johnny Depp, il s'agit bien d'un « pirate des Caraïbes », d'origine anglaise, la dénomination « flibustier » étant réservée aux pirates d'origine française.
Caractéristique de ce pirate : ses créateurs ont trouvé leur inspiration dans... une attraction des parcs Disneyland ! Comme quoi, les pirates ne cessent pas de nous faire rêver. Qu'est-ce qu'on a envie de se faire peur devant le sourire sardonique de Rackham le Rouge !