Quick & Flupke : 80 bougies !

C'est le 23 janvier 1930 qu'un certain Quick apparaît en couverture du Petit Vingtième, le supplément pour la jeunesse dont Hergé est le rédacteur en chef, au sein du quotidien Le Vingtième Siècle. Flupke apparaîtra plus tard, et prendra la vedette. Mais quel plaisir de retrouver deux garnements qui ne font pas leurs 80 ans !


Un an après le début de Tintin au Pays des Soviets (10 janvier 1929), Hergé ajoute un nouveau personnage au sommaire du Petit Vingtième, le supplément du jeudi pour les jeunes garçons, dans le quotidien catholique, Le Vingtième Siècle. C'est un de ces ketjes de Bruxelles, dont le dessinateur se sentait très proche. Hergé prétendra plus tard avoir voulu « se reposer » des aventures exotiques et lointaines où il plongeait son reporter et son fox à poil dur. L'explication tient, mais ne perdons pas de vue l'entre-deux-guerres exploite à fond la veine patoisante. Le premier film parlant belge (et même européen) est signé Gaston Schoukens : c'est La Famille Klepkens, dont l'accent bruxellois crève l'écran ! En janvier 1930, Hergé n'a toujours pas défini son avenir professionnel. Il dessinera, c'est sûr, mais quoi ? On lui demande des illustrations d'articles, de romans, de nouvelles ; il se place sur le marché des créateurs publicitaires et s'y montre d'une remarquable efficacité. La publicité paie bien ; l'illustration, aussi, compte-tenu de rapport temps-rémunération. En revanche, ce qui deviendra la bande dessinée s'avère une misère. Les éditeurs de journaux achètent les planches avant publication, mais n'envisagent ni publication postérieure sous forme d'albums, ni replacements à l'étranger. Pas de droits d'auteurs, pas de royalties.


Avant et après le Congo


Un événement va le faire réfléchir. A l'issue de la publication de Tintin au Pays des Soviets, l'équipe du Petit Vingtième a imaginé d'accueillir un Tintin en chair et en os, retour de Russie, à la Gare du Nord de Bruxelles. La foule est énorme. Elle le sera encore plus, après Tintin au Congo, qui suscite le même coup publicitaire et un succès populaire encore plus important. L'abbé Wallez imagine de réunir en recueil les pages du feuilleton que les lecteurs du Petit Vingtième ont dévorées semaine après semaine. Il n'a pas l'argent pour arriver à ses fins ? Le finaud ecclésiastique lance une souscription et, pour boucler le budget, sollicite et obtient l'aide des chocolats Kwatta, dont la publicité apparaît dans la première édition de Tintin au Pays des Soviets (original visible au Musée Hergé). Prix d'un album : l'équivalent de 40 à 50 euros actuels.


Précurseurs de Gaston


Décidément, il y a moyen de vivre de la bande dessinée ! Quick et Flupke déboulent à ce moment-là dans les pages du journal. L'adjonction de Flupke assure le succès de la série. Le 1er janvier 1931, ils remplacent Tintin en couverture du Petit Vingtième. A l'occasion, ils se font les porte-parole d'Hergé : ils expliquent ses retards, tournent en dérision ses périodes dépressives, lui jouent des sales tours. En fait, ils sont les précurseurs du Gaston de Franquin. Ce dernier sèmera la pagaille dans les bureaux du journal Spirou ; Quick et Flupke avaient été les trublions du Petit Vingtième, où leur espièglerie invite les auteurs à ne pas se prendre trop au sérieux. Son inspiration, Hergé la puise dans ses souvenirs de jeunesse, gamin des rues d'Etterbeek, sa commune natale, et au long de ses déambulations dans les Marolles. Ce sont des scènes de la vie scolaire, des ennuyeux dimanches pendant lesquels Charles Trenet prétend que les enfants s'ennuient. On moque les grands auteurs infligés aux écoliers. Il absorbe tour à tour des faits divers glanés dans les journaux, les conversations entendues dans les bistrots où il s'arrête pour boire une Faro ou une Lambic...


Quick et Flupke, résistants


Quand arrive la guerre en Belgique, le 10 mai 1940, le journal Le Vingtième Siècle ferme ses portes définitivement. Ni Tintin, ni Quick et Flupke, ni... Hergé ne restent les bras ballants. Quand Hergé prétend qu'à la capitulation belge de 1940, il s'est remis au travail, selon le souhait du roi Léopold III, force est de le croire, au vu de sa surabondante production. Outre Tintin, il écrit deux pièces de théâtre (Tintin en Indes, en 1940, et Monsieur Boullock a disparu, en 1941), redessine et met en couleurs les premiers titres Tintin, poursuit les aventures de Jo, Zette et Jocko, initiée en 1936, publie de nouveaux albums Quick et Flupke, devenus entre-temps éphémères vedettes de la radio. Si les aventures de Tintin évitent scrupuleusement tout sujet politique, Quick et Flupke se délectent de la vie au jour le jour. Privations, marché noir, restrictions, occultation : rien n'échappe à la zwanze des deux ketjes ! Avec Tintin, Hergé touche à l'universel, Quick et Flupke l'ancrent dans le quotidien. Après 1945, la Belgique s'engage dans la reconstruction. Elle s'américanise, prépare l'Expo 58, Bruxelles sera bientôt capitale de l'Europe. Convenons-en : Quick et Flupke n'y ont plus leur place. Les deux ketjes (« gamins », en dialecte bruxellois) appartiennent à un monde, à une Belgique, à un Bruxelles disparus.
Les Marolles, terrain de jeu de Quick et Flupke


Car c'est bien dans les Marolles, ce quartier populaire de Bruxelles, que se déroulent les exploits de Quick et Flupke. Le peuple des Marolles ont un caractère bien trempé : gouailleur, malin, industrieux, débrouillard, contestataire, colérique, farceur, bon vivant, miséreux, rétif à toute autorité. Antoinette Roch, grand-mère et marraine de Georges Remi, habite rue Terre-Neuve, au cœur des Marolles. C'est aussi l'adresse officielle de Tintin  -  avec un léger accommodement : Terre-Neuve deviendra Labrador. On reste dans les régions subpolaires ! En ces années 30, décennie de la grande crise économique, consécutive au krach de Wall Street, le 24 octobre 1929, les Marolles se révèlent une bouilloire sociale qui n'est pas sans rappeler les actuelles et supposées « zones de non-droit », où la police apparaît comme un bras affaibli de la loi. L'agent 15 en est le représentant. Très empreint de son importance, il devient une cible de choix pour Quick et Flupke, qui lui rappellent que, lui aussi, a été un « ketje » !


Les Marolles, source inépuisable d'inspiration


Jusqu'à la fin de ses jours (il est décédé en 1983), Hergé adorait humer la réalité des Marolles. Et son parler bien à elles, inimitable. Il s'en inspire pour inventer le langage des lointains Indiens Arumbayas (L'Oreille cassée). On n'en finit pas de relever l'influence du marollien. Dans L'Or noir, c'est l'émirat de Khemed (je l'ai) ; dans L'Affaire Tournesol, la capitale de la Bordurie, Szohôd (fou) ; dans Le Sceptre d'Ottokar, la devise syldave, Eih bennek, eih blavek (j'y suis, j'y reste). Le Secret de La Licorne débute aux Vieux Marché, surnommé « marché aux puces » par les marolliens, ce qui pousse Milou à se gratter rageusement pendant toute la scène d'ouverture de cette aventure qui sera filmée par Steven Spielberg et Peter Jackson (sortie : octobre 2011).


Mais où sont les filles ?


Tant autour de Tintin, que dans le Bruxelles de Quick et Flupke, la gent féminine n'a pas le beau rôle. Mégères grognonnes, concierges hystériques, belles dames aussi transparentes que le cellophane, gamines insupportables ou vaniteuses, dont le seul intérêt réside dans la fait qu'elles portent des tresses, irrésistible invitation à être tirées par les gamins farceurs. Les filles ? On ne s'en soucie guère, quand on est un écolier bien comme il faut. Les rares écoles mixtes n'existent qu'à titre expérimental, et s'attirent les foudres de l'Eglise, encore très prégnante dans cette Belgique en crise. Les garçons d'un côté, les filles ailleurs. Le Petit Vingtième, supplément hebdomadaire du Vingtième Siècle, s'adresse aux garçons. Il paraît le jeudi, dont les après-midi signifient « congé » dans les écoles. Les garçons s'adonnent aux sports, rejoignent leur troupe scoute, potassent la littérature de vulgarisation scientifique (dont on retrouve l'écho dans les aventures de Tintin), s'enthousiasment pour les bricolages et dévorent les romans, nouvelles et « illustrés » à eux destinés. A cette après-midi de détente entre jeunes mâles correspond un temps studieux pour les filles. Leur jeudi, elles le passent à découvrir ce que sera leur vie de futures épouses et mères. Se succèdent des cours de maintien (les « belles manières »), de cuisine, de couture et de règles d'hygiène à appliquer aux nouveau-nés. Les illustrés ? Pas le temps pour ça. Sauf pour les petits filles modèles des grandes et riches familles : La Semaine de Suzette leur propose des romans édifiants, des récits à l'eau e rose et... Bécassine, sympathique servante complètement idiote et gaffeuse.


De rares héroïnes...


Les « illustrés » ne sont pas pensés pour les filles  -  aujourd'hui, on dirait que ce n'est pas un marché potentiel. Donc, aucune raison de les mettre en scène dans les romans pour la jeunesse (ah, Jules Verne et son image de la femme ; oh, le monde du Prince Eric, ce roman scout aux adolescents ambigus, illustrés par Pierre Joubert...), pas plus que dans les bandes dessinées d'aventure. C'est vrai en Europe, ce l'est moins aux Etats-Unis. Les héroïnes y font florès : Dale Arden, dans Flash Gordon ; Little Annie ; Juliet Jones ; Mary Perkins  -  ce qui n'évite pas les stéréotypes sexistes. Alors que a mixité dans les écoles nous paraît naturelle, en 2010, il n'en allait pas de même dans les années 1930. Il y avait les « écoles de garçons » et les « écoles pour filles ». Cela fait réfléchir par rapport à certaines revendications actuelles... Mais quand on est un véritable marollien de 1930, comme Quick et Flupke, on n'a pas le temps de s'occuper des filles ! La force d'Hergé dans Quick et Flupke, c'est la puissance des gags qui restent très actuels. Et pourquoi pas éternels ? N'hésitez pas à redécouvrir Quick (Hergé insistait : on prononce « Couic » et non « Kik ») et Flupke, diminutif bruxellois et affectueux de Philippe. Sans doute, cette pérennité des deux galopins est-elle due à la tendresse et l'affection d'Hergé pour ses personnages. Le Musée Hergé, à Louvain-la-Neuve, présente de nombreuses planches originales de Quick et Flupke, tandis que sa boutique met en vente les albums et les objets inspirés par les deux garnements.
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