TINTIN AU CONGO – Une question de vocabulaire
Épisode 3
Congo, « L’Assimil » de l’époque…
À la lecture de Tintin au Congo, on constate que les autochtones s’expriment dans une langue française « revisitée ». C’est la marque d’une simplification assurément caricaturale et stéréotypée du langage - que l’on appelait « petit nègre » - cette façon de parler le français selon un mode « décompliqué ».
N’oublions pas que la langue est là pour servir le colonisateur, et le français n’a jamais été la plus facile à apprendre…
Les colons belges éditent leur manuel du « bien parlé » pour se faire comprendre du travailleur noir. Sous le titre de Petite Grammaire de la langue Kiluba (voir le livre P. Goddin Les Tribulations de Tintin au Congo, page 10), se trouvent un vocabulaire, un guide de conversation contenant tous les mots usuels prononcés dans un baragouin : « toi venir, toi partir ! ».
Au Sénégal, alors colonie française, « l'armée décide d'instaurer le « petit nègre », autrement nommé « français simplifié ». Dans un manuel d'enseignement publié en 1916 à destination des officiers français désireux de mieux communiquer avec leurs tirailleurs, on peut ainsi lire :
Français standard : La sentinelle doit se placer pour bien voir et se laisser voir.
Français tirailleur : Sentinelle y a besoin chercher bonne place. Ennemi y a pas moyen mirer lui. Lui y a moyen mirer tout secteur pour lui ».
Source : Pierre Ropert, Le français “petit-nègre”, une construction de l'armée coloniale française. 21/02/2018.
Le Congo belge n’échappe pas à cette logique paternaliste, simplificatrice et miséricordieuse. Hergé (23 ans à l’époque) ne prendra pas encore en compte le virage d’un français simple mais correct que l’armée française imposera par la suite à ses cadres vis-à-vis des troupes indigènes, interdisant dorénavant de parler sabir !
Ainsi « le langage que leur prête Hergé : ils s’expriment dans un français approximatif et imparfait. Le jeune boy de Tintin, Coco (…), parle ainsi de la « tomobile » au lieu de l’automobile et les expressions « Toi y en a », « Ça y en a », « Missié », « Li » au lieu de « il » parcourent l’ouvrage ».
Source : Eudes Girard, Une relecture de Tintin au Congo.
Le français parlé des Congolais dans cette deuxième aventure de Tintin n’est pas une construction émanant d’un quelconque style hergéen, mais une phraséologie imagée, propre à cette époque coloniale qui n’était pas très éloignée du « mythe du bon sauvage ».
Même en 1939, dans sa chanson Le Voyage du pauvre nègre, Edith Piaf utilise « le faire parler petit-nègre » !
REFRAIN
Oh yo
Oh yo
Monsieur Bon Dieu, c'est pas gentil,
Moi pas vouloir quitter pays
Moi voulu voir le grand bateau
Qui crach' du feu et march' sur l'eau.
Et sur le pont moi j'ai dormi,
Alors bateau il est parti,
Et capitaine a dit comm' ça :
"Nègre au charbon il travaill'ra !"
Monsieur Bon Dieu, c'est pas gentil,
Moi pas vouloir quitté pays.
Oh yo
Oh yo
Oh yo
Oh yo
Oh yo.
Oh yo
Oh yo
Monsieur Bon Dieu, c'est pas gentil,
Moi pas vouloir quitter pays
Moi voulu voir le grand bateau
Qui crach' du feu et march' sur l'eau.
Et sur le pont moi j'ai dormi,
Alors bateau il est parti,
Et capitaine a dit comm' ça :
"Nègre au charbon il travaill'ra !"
Monsieur Bon Dieu, c'est pas gentil,
Moi pas vouloir quitté pays.
Oh yo
Oh yo
Oh yo
Oh yo
Oh yo.
Le langage et le dialogue nous ont été donnés pour nous entendre et nous comprendre. Des mots nouveaux sont inévitables pour représenter les sentiments, les sensibilités et les opinions du temps présent. Ces évolutions linguistisques ne se font pas sans heurt. Les langages des jeunes et des ados – version 21ème siècle – témoignent, par exemple, d’un équilibrisme délicat…
Babtou : homme blanc, européen. Verlan de toubab, lui-même issu du mot tubaab en wolof, la langue la plus parlée au Sénégal.
Bédave : fumer (mais pas une cigarette, si vous voyez ce que je veux dire). Exemple : ” T’as rien à bédave, gros ? ”
Carotte : voler. Exemple : ” J’me suis fait carotte mes dix euros. ”
Ce changement des mots touche aussi des institutions culturelles comme les musées. Le Musée de l’Afrique centrale situé à Tervuren qui a ré-ouvert fin de cette année est concerné au premier chef.
Ainsi, le journal L’Echo publiait le 5 septembre 2018 un article : « La décolonisation du Musée d'Afrique à Tervuren passe aussi par la terminologie ».
La révision du langage est parfois poussée à son paroxysme : ne dites plus "tam-tam", mais "tambour à fente". De même, ne dites plus "tribu", mais "groupe ethnique". Bambi Ceuppens, anthropologue et commissaire scientifique auprès du Musée d'Afrique à Tervuren, a rédigé des recommandations linguistiques à l'adresse du personnel et des collaborateurs du nouveau musée …».
Ceci clôture notre deuxième volet d’articles à propos du sujet « Congo ». Nous n’avons certainement pas épuisé la question délicate des « mots », mais nous espérons que notre éclairage contribuera quelque peu au devoir de mémoire, surtout auprès des jeunes. Nous devons avoir le souci constant d’expliquer les choses passées avec leurs imperfections, leurs maladresses et leurs parts d’erreurs, volontaires ou non … « L’homme est la mesure de toutes choses » (Protagoras).