Les 85 ans de Tintin
Reportage au pays de Tintin
Ce 10 janvier, Tintin fête ses 85 ans. Qui oublierait sa première apparition, au pied d’un wagon de train en partance pour Berlin, étape obligée vers l’Union soviétique (devenue la Fédération de Russie en 1991) ? En deux pages et douze cases, il conquiert les lecteurs du Petit Vingtième, supplément jeunesse du quotidien ultra-catholique, Le Vingtième Siècle. Sa notoriété n’a fait qu’augmenter au fil des ans au point de devenir un véritable mythe. Où finit la simple existence et où commence le mythe ?
C'était le 10 janvier 1929
Le 10 janvier 1929 tombait un jeudi. Ce jour-là, les écoliers disposaient d’un après-midi de liberté - cela coupait leur semaine en deux, car ils allaient encore à l’école le samedi. Le quotidien bruxellois (pour adultes), Le Vingtième Siècle, eut l’idée de meubler les jeudis des garçons et filles avec un supplément qui leur serait destiné.
Il fallait y ajouter une bande dessinée originale : tous les suppléments BD des quotidiens avaient emprunté l’idée à la presse américaine, qui publiait des comics dans ses éditions du dimanche. Au Vingtième Siècle, un certain Georges Remi, engagé autrefois au service des abonnements, s’était révélé un illustrateur hors pair. Par ailleurs, il animait une bande dessinée dans Le Boy-Scout Belge, le magazine de liaison des scouts catholiques.
Tintin voit le jour
Hergé imagine un jeune journaliste. La profession fait rêver, en ces années vingt. Il le flanque d’un compagnon : le chien Milou, ainsi nommé d’après le surnom affectueux donné à... la première petite amie d'Hergé (Marie-Louise Van Cutsem) !
Le fox-terrier est un chien à la mode au début des années trente. Milou pourrait bien avoir été inspiré des aventures de Ric et Rac publiées dans le journal du même nom qui naquit en 1927.
Cette filiation de papier est évoquée par Hergé dans l’entretien télévisé de l’émission 30 millions d’amis diffusée sur FR3 le 29 juillet 1978. Hergé confirmait aussi dans cet entretien que Milou est d’une race apparentée au fox-terrier à poil dur, un peu bâtard tout de même (à une autre occasion Hergé utilisera le mot bruxellois zinneke). De plus, il faut le préciser, le fox-terrier de pure race n’existe pas en version tout blanc.
Le modèle physique de Tintin ? Là encore, beaucoup de suppositions. Vers la fin du dix-neuvième siècle (1897), l’illustrateur français Benjamin Rabier composa un album d’images, intitulé Tintin Lutin. Hergé l’a-t-il lu ? Rien n’est moins sûr. Il semblerait qu’il se soit plutôt inspiré de son frère cadet, Paul Remi, militaire de carrière et cavalier émérite.
De simple reporter à héros mythique
Tintin n’est pas un simple journaliste de papier jaunissant rangé dans une bibliothèque. Il incarne un exemple à suivre et des valeurs que la société d’aujourd’hui cherche désespérément. Tintin est un héros universel à l’épreuve du temps et des techniques. Il rejoint d’autres personnalités qui restent populaires et traversent les âges et les siècles comme Marilyn Monroe, John Fitzgerald Kennedy, Martin Luther King, Nelson Mandela, The Beatles, The Rolling Stones, James Bond, Batman, etc… Ce statut est d’autant plus pertinent en temps de crise où les mythes et les héros sont mis à contribution pour la préservation de la cohésion sociale.
Relire notre journal : Tintin, un exemple !
Comment serait né le mythe ?
Selon Jean-Marie Apostolidès, Tintin incarne un mythe ré-conciliatoire :
« Sa fonction implicite est de ressouder entre deux générations une confiance brisée depuis la guerre 14/18. Sans l'avoir clairement décidé, Hergé a donc forgé un mythe nouveau, caractéristique du XXe siècle, auquel je donne le nom de surenfant. »
L'auteur compare Tintin à d'autres personnages que sont le reporter Rouletabille et Jo et Zette. Pourquoi ces héros sont-ils restés des personnages romanesques alors que Tintin est devenu un mythe ? Tout en recourant à la psychanalyse, l'auteur montre pédagogiquement que Tintin échappe au destin commun de l'humanité : se confronter à sa propre histoire. Car Tintin n'a pas de passé, pas de famille biologique, pas de sexualité donc pas d'avenir. C'est le fondement du mythe de Tintin : en partageant ses exploits, nous oublions les aléas de notre propre histoire. (Jean-Marie Apostolidès, Le Mythe du Surenfant, éditions Moulinsart)
Mais la société elle-même en quête d’identité génère ses propres mythes et Tintin est cette tête ronde, sans histoire, que Michel Serres compare « à ces images à trous dans lesquelles chacun peut venir mettre sa propre tête . C’est ça, Tintin. Il est polyvalent. Vous pouvez vous identifiez à lui et moi aussi. Tintin est un héros omnivalent. C’est cela son succès. On peut s’identifier à lui, tout en s’identifiant aussi à son capitaine Haddock. Je suis maladroit comme lui, péteux quelquefois, je rate souvent ce que j’entreprends. En fait, on peut s’identifier aux deux. C’est le deuxième secret… ».
Le mythe est une sorte de production organique ou sédimentation culturelle, une formation lente et progressive, partant de l’individu pour aboutir à une forme sociale parfaite !
Graphiquement Tintin est aussi proche du “smiley” que tout le monde comprend. Dans “Understanding Comics: The Invisible Art” Scott McCloud classe Tintin parmi les personnages les plus conceptuels au contraire de ceux qui sont soit très réalistes soit très artistiques. L’universalité de son facies participe, pour ainsi dire, au succès du personnage et à l’affection tout azimut que ses fans lui témoignent.
Tintin est au-dessus de la mêlée… et en même temps très présent dans nos existences. Cela dure depuis 85 ans. Personnage de fiction, certes, il semble définitivement figurer au panthéon des héros des temps modernes. Privé d’album depuis 1976, le petit reporter n’en finit pourtant pas de vivre de nouvelles aventures, au cœur de nos vies, mais aussi de nos constructions mentales les plus exaltantes. Tintin is Alive !